Sage-femme
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La sage-femme
Les sages-femmes soutenaient les femmes pendant l’accouchement, se déplaçant fréquemment de maison en maison, voire de village en village. Elles apprenaient leur métier de génération en génération, par transmission orale, ainsi qu’en vivant leurs propres expériences d’accouchement. Dès leur plus jeune âge, les futures sages-femmes assistaient aux naissances de leurs frères et sœurs, observant les gestes des sages-femmes et d’autres femmes de la famille durant le processus. En raison de leur manque de formation médicale, de nombreuses sages-femmes de l’époque en Nouvelle-France risquaient parfois d’aggraver plutôt que de faciliter les accouchements. Certaines méthodes employées étaient douteuses, et l’importance de l’hygiène était souvent négligée.
La sage-femme et le clergé
En théorie, une femme devait passer deux examens pour devenir sage-femme : l’un devant le prêtre et l’autre devant le chirurgien du roi. Le prêtre cherchait à garantir que la future sage-femme possédait le cadre moral approprié pour la profession et qu’elle était capable de baptiser un nouveau-né en cas de nécessité. La sage-femme était autorisée à baptiser un bébé uniquement lorsque sa vie était en danger, et cela seulement en l’absence d’un homme, qu’il soit prêtre ou laïc, apte à accomplir cet acte. Pour les laïcs, il était nécessaire de maîtriser l’administration du baptême. Quant à l’examen devant le chirurgien du roi, il était rarement requis, en particulier en milieu rural.
Le Rituel du Diocèse, qui donnait au clergé les instructions sur la manière d’administrer les sacrements, stipulait que :
« Pourquoi les Curez prendront soin qu’aucune [sage-femme] ne s’ingere en cette charge dans l’étendue de la Paroisse, qu’il n’ait auparavant examiné leur foi, leur bonne vie, leur capacité pour administrer le Baptême aux enfans au cas de necessité, & qu’ils n’ayent exigé d’elles le serment, comme elles s’acquiteront bien & deuëment de cette fonction. »
Le serment de la sage-femme se lit comme suit :
« Je [nom] jure & promets à Dieu le Createur en vôtre presence, Monsieur, de vivre & mourir en la foi Catholique, Apostolique, & Romaine, & de m’acquitter avec plus de fidelité, & de diligence qu’il me sera possible, de la charge que j’entreprens, d’assister les femmes dans leurs couches, & de ne permettre jamais que ni la mere, ni l’enfant encourent aucun mal par ma faute, & de l’aide des Medecins, Chirurgiens, & des autres femmes que je connoîtrai experimentées, & entenduës en cette fonction. Je promets aussi de ne point reveler les secrets des familles, ni des personnes que j’assisterai, & de n’user d’aucun moyen illicite, sous quelque couleur, ou pretexte que ce soit, par vengeance ou mauvaise affection, & n’omettre rien de ce qui sera de mon devoir à l’endroit de qui que ce soit ; mais de procurer de tout mon pouvoir le salut corporel & spirituel, tant de la mère que de l’enfant. »
En cas de décès d’une sage-femme, le Rituel prévoyait que :
« Le Curé prendra soin d’assembler les plus vertueuses, & les plus honnêtes femmes de la Paroisse, afin d’élire pour Sage-Femme en sa place celle qu’elle croiront en conscience la plus fidelle, & la plus propre à cette fonction, en les avertissant de se dépouiller de tout sentiment de haine, d’amour, & de faveur. »
Le quotidien des sages-femmes
Les sages-femmes étaient normalement appelées lors des dernières étapes de l’accouchement et pouvaient rester quelques jours après la naissance. La plupart des femmes accouchaient à la maison ou chez leur mère. À l’exception des femmes de la classe supérieure pouvant accoucher dans leur chambre, l’accouchement avait lieu dans la pièce principale de la maison, où un grand chaudron contenait de l’eau chaude pour les besoins d’hygiène. La pièce était également équipée d’un petit lit sur lequel la femme pouvait se reposer entre les contractions, d’une chaise d’accouchement et d’un lit conjugal pour qu’elle puisse se reposer après la naissance.
Les sages-femmes utilisaient de l’ergot, un champignon qui poussait sur le seigle et d’autres plantes, pour soulager la douleur de l’accouchement, à une époque où l’Église soutenait que cette souffrance était la juste punition de Dieu pour le péché originel d’Ève. La belladone, un antispasmodique, était utilisée pour diminuer les contractions utérines afin de prévenir les fausses couches.
Après la naissance, la sage-femme coupait le cordon ombilical et posait la tête de l’enfant sur la poitrine de la mère. Ce rituel était suivi d’une toilette, au cours de laquelle du sel fin était saupoudré sur le nouveau-né afin d’éliminer le vernix caseosa, la couche grasse qui le recouvrait. La sage-femme baignait ensuite le bébé dans de l’eau tiède contenant un mélange d’infusions diverses. Après le bain, la sage-femme massait et pétrissait le corps de l’enfant pour lui donner la bonne forme, allant même jusqu’à le tenir à l’envers par les chevilles pour donner à la colonne vertébrale une courbe « souhaitable ».
Par la suite, l’emmaillotage était utilisé pour prévenir les déformations. Le nourrisson était d’abord emmailloté dans des couches de vêtements et de bandages, maintenues en place par des attelles pour garder les jambes droites tout en laissant les mains libres. Les chevilles étaient également liées et deux bandes supplémentaires étaient enroulées pour le maintenir au chaud. Parfois, le nouveau-né était libéré et frotté avec de l’huile ou du beurre avant d’être à nouveau emmailloté. La sage-femme préparait ensuite un repas pour la mère et nettoyait la pièce. Elle revenait dans les jours qui suivaient pour prodiguer des soins postnatals et aider aux tâches ménagères, offrant ainsi un précieux soutien féminin pendant le processus difficile de l’accouchement.
La sage-femme était, avec le barbier-chirurgien et le médecin, l’une des trois professions médicales de la Nouvelle-France. Néanmoins, la prise en charge des femmes enceintes était principalement considérée comme un domaine réservé aux femmes. Les hommes ne pouvaient s’impliquer, en raison des restrictions imposées par l’Église et les strictes normes sociales.
Dans des cas extraordinaires, les sages-femmes étaient invitées à témoigner devant la cour ou un notaire. Elle pouvait confirmer la grossesse d’une femme, la naissance d’un enfant, sa paternité ou son abandon par la mère, par exemple.
La sage-femme s’appelait aussi « matrone », « accoucheuse » ou « basle ».
Cliquez ici pour écouter un épisode d’Aujourd’hui l’histoire intitulé « L’accouchement selon les époques » avec Andrée Rivard, docteure en histoire et auteure.
Femmes qui ont exercé ce métier : Madeleine Bailly, Étiennette Banliac, Marguerite Banliac, Marie Beaudoin, Aurore Bégin, Marie Élisabeth Bezeau, Marie Élisabeth Bisson, Madeleine Bouchette, Simone Buisson, Françoise Boulay, Marie Louise Boileau, Angélique Boisseau, Marie Bonhomme, Madeleine Boucher, Madeleine Bouchette, Catherine Bracquemard, Simone Buisson, Marie Caron, Françoise Chapelain, Catherine Charon, Jeanne Charpentier, Marie Madeleine Comeau, Anne Courtemanche, Élisabeth Couture, Élisabeth Dallaire/Allaire, Noëlle [Dalleux?], Marie de Lamarre, Marie-Anne de la Porte, Anne Madeleine [Dellehaxhe?], Martine Demers, Hélène Desportes, Marie Jeanne Droit, Anne Dufresne, Marie Jeanne Josèphe Forcier, Charlotte Führer, Marguerite Gagné, Thérèse Gagné, Cunégonde Gervaise, Marie Madeleine Gibault, Catherine Guertin, Françoise Hébert, Marie Madeleine Hébert, Marie Jamin, Catherine Jérémy, Marie Joly, Marie Joyal, Marie Gertrude Joyal, Anna Laberge, (prénom inconnu) Lancoignée, Marguerite Langloise, Louise Thérèse Marie Lebreuil, Marie Renée Lefevre, Anne Lemaître, Marie Leneuf, Denise Lemaître, Élisabeth Lemieux, Madeleine Lemire, Simone Lereu, Marie Thérèse Levasseur, Marie Liardin, Denise Marié, Marie Claude Miville dite Deschênes, Marie Charlotte Montrais, Gertrude Moral, Louise Morin, Gertrude Niquet, Anne Pastorel, Marie Péré, Michelle Perrin, Jeanne Petitclerc, Marie Anne Rabady, Françoise Raclos, Marie Madeleine Rapin, Anne Renaud, Jeanne Richecourt dite Malteau, Marie Rollet, Gabrielle Rosty, Marie Simard, Madeleine Tapin, Geneviève Tessier/Terion, Marie [Thonnon?], Marie Catherine Tremblay, Marie Madeleine Viel, Adèle Vignola.
Voici une excellente vidéo sur l’histoire des sages-femmes par L'Histoire nous le dira.
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Bibliographie et lecture complémentaire :
Église catholique, Diocèse de Québec, Rituel du diocèse de Québec : publié par l’ordre de Mgr de Saint Valier (sic), évêque de Québec (Paris, S. Langlois, 1703), numérisé par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2036228).
Robert Gagné, Historique de nos racines Gagné ou Petites histoires de nos ancêtres en Nouvelle France (Brossard : Robert Gagné, 2016), numérisé par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2711786).
André Lachance, Vivre, aimer et mourir en Nouvelle-France ; Juger et punir en Nouvelle-France : la vie quotidienne aux XVIIe et XVIIIe siècles (Montréal : Éditions Libre Expression, 2004), 23-30.
Hélène Laforce, « L’univers de la sage-femme aux XVIIe et XVIIIe siècle », Cap-aux-Diamants, 1 (3), 3–6, 1985, numérisé par Érudit (https://www.erudit.org/fr/revues/cd/1985-v1-n3-cd1040841/6382ac.pdf).
Hélène Laforce, « Les sages-femmes (première mention dans les registres : 1703) », dans Ces femmes qui ont bâti Montréal (Éditions du Remue-ménage, 1992), 45-47, numérisé par Histoire des femmes au Québec (https://histoiredesfemmes.quebec/pdf/SagesFemmes.pdf).