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Josiah Rising et Abigail Nims

Venez découvrir l'histoire fascinante de deux enfants de Deerfield au Massachusetts, qui ont été enlevés et emmenés au Québec en 1704 par les troupes françaises et leurs alliés autochtones. Abigail Nims et Josiah Rising (qui est devenu Raizenne) sont restés en Nouvelle-France et sont les ancêtres de milliers de Canadiens français aujourd'hui.

 

Enlevés par la guerre : nos ancêtres du raid de Deerfield en 1704

L’histoire de Josiah Rising et Abigail Nims

 
 

Imaginez marcher plus de 480 kilomètres depuis une petite ville du Massachusetts jusqu’à Fort Chambly, au Québec (Nouvelle-France), en plein hiver. Le voyage vous fait traverser d’épaisses couches de neige, des rivières et des rapides à moitié gelés, tout en affrontant une nature sauvage imprévisible. Maintenant, imaginez que nous sommes en 1704 et que vous êtes très mal équipé pour une telle traversée selon les normes actuelles. Enfin, imaginez que vous n’êtes qu’un enfant, enlevé par des guerriers français et autochtones. C’est votre nouveau « maître » autochtone qui vous guide dans ce périple jusqu’à son village.

C’est exactement ce qui est arrivé à mes 7es arrière-grands-parents, Abigail Nims et Josiah Rising.

Abigail Nims, fille de Godfrey Nims et de Mehitable Smead, est née le 27 mai 1701 à Deerfield, dans le Massachusetts, qui faisait alors partie des colonies de la Nouvelle-Angleterre. Josiah Rising, fils de John Rising et de Sarah Hale, est né à Suffield en février 1694, mais il vivait chez son oncle à Deerfield en 1704.

À cette époque, Deerfield comptait moins de 300 habitants, principalement de jeunes familles pratiquant l’agriculture de subsistance et profondément attachées à leur foi puritaine. Cependant, l’emplacement du village ne leur permettait pas de mener la vie paisible qu’ils espéraient. Isolé et situé à la frontière de la colonie anglaise, Deerfield est rapidement devenu une cible dans les conflits opposant les Français et les Anglais, chacun soutenu par ses alliés autochtones.

« Nord-Est colonial, vers 1660-1725. Cette carte illustre les colonies anglaises et françaises ainsi que les centres d’habitation autochtones à l’époque du raid sur Deerfield. »

Carte : Juliet Jacobson, artiste, du site web Raid on Deerfield : The Many Stories of 1704 (http://1704.deerfield.history.museum/).  Utilisée avec la permission de la Pocumtuck Valley Memorial Association, Deerfield, MA.

« Deerfield, vers 1700. Dans les villes de la vallée de la rivière Connecticut, comme Deerfield, les colons anglais ont établi des villages étroitement regroupés, entourés de longues bandes étroites de terres agricoles juxtaposées dans de grands champs clôturés et entretenus collectivement. Ils ont apporté avec eux des récoltes, du bétail et des méthodes agricoles issus de leur pays d’origine. Comparée à l’utilisation autochtone des terres, l’approche anglaise était intensive : des établissements fixes avec de grandes fermes composées de champs de monoculture et de troupeaux de bétail nécessitant de vastes pâturages. Cette exploitation intensive des terres agricoles a perturbé les pratiques traditionnelles autochtones de chasse, de cueillette et d’agriculture. En cultivant les terres prises aux populations indigènes, les colons anglais prospéraient. Cependant, les grandes familles qui en découlaient exigeaient de plus en plus de terres à chaque génération. »

Image : Juliet Jacobson, artiste, du site web Raid on Deerfield : The Many Stories of 1704 (http://1704.deerfield.history.museum/).  Utilisée avec la permission de la Pocumtuck Valley Memorial Association, Deerfield, MA.

Au cours des décennies qui ont précédé le raid de Deerfield en 1704, de nombreuses attaques ont été menées contre les colons anglais ainsi que contre des villages autochtones. Ces affrontements s’inscrivaient dans le cadre de la guerre du roi Philip, puis de la Première Guerre intercoloniale (King William’s War en anglais) et enfin de la Deuxième Guerre intercoloniale (Queen Anne’s War en anglais). En conséquence, les habitants de Deerfield vivaient dans une peur constante des représailles.

Pour se préparer à une telle éventualité, les palissades du village, un mur de piquets en bois, furent fortifiées et agrandies en 1703. En octobre de la même année, deux habitants de Deerfield furent capturés lors d’une embuscade et emmenés au Canada. En réponse, des soldats furent postés autour du village, mais comme aucun autre incident ne se produisit durant le reste de l’année, ils furent retirés.

Au début de 1704, Joseph Dudley, le gouverneur du Massachusetts, fut informé par les Iroquois d’une possible attaque menée par les Français et leurs alliés autochtones. Cependant, aucun détail ne fut donné concernant le moment ou le lieu. En février, un groupe de 20 miliciens fut envoyé pour protéger Deerfield, soutenu par environ 70 villageois sous le commandement du capitaine Jonathan Wells.

 

« Fort Chambly », dessin de William Henry Bartlett, 1840 (Bibliothèque et Archives nationales du Québec).

 

Pendant ce temps, de l’autre côté de la frontière, au Fort Chambly, une force d’environ 250 hommes était en cours de rassemblement sous le commandement de Jean-Baptiste Hertel de Rouville. Elle comprenait une cinquantaine de soldats français et canadiens, ainsi que des officiers des Compagnies Franches de la Marine. Le reste du groupe était composé de guerriers autochtones, notamment des Wôbanaki (Abenaki, Pennacook, Sokoki, Pocumtuck et autres), des Wendat (Iroquois Hurons) et des Kanienkehaka (Iroquois Mohawks). En route vers le sud, en direction des colonies de la Nouvelle-Angleterre, ils furent rejoints par 30 à 40 guerriers Pennacook de Cowass (aujourd’hui Newbury, Vermont). Deerfield n’était pas une cible particulièrement stratégique, mais elle fut choisie pour sa proximité avec la base française de Chambly, étant la colonie de Nouvelle-Angleterre la plus proche.

Le raid de Deerfield eut lieu le 29 février 1703/1704 (selon le calendrier julien) ou le 11 mars 1704 (selon le calendrier grégorien encore en usage aujourd’hui). Les Français et leurs alliés autochtones laissèrent la majeure partie de leur équipement et de leurs provisions à environ trois kilomètres du village, observant les habitants s’installer pour la nuit. Selon certains récits, un seul homme était en poste pour surveiller la ville. À leur approche, les assaillants remarquèrent que des congères de neige atteignaient presque le sommet de la palissade. Cela permit à quelques-uns de grimper aisément par-dessus et de déverrouiller la porte pour laisser entrer le reste du groupe.


« Guerrier Iroquois », gravure de J. Larocque, 1795 (Bibliothèque et Archives Canada)

« Les Hurons », illustration d’Edward Chatfield, 1925 (Wikimedia Commons). « Représente trois chefs hurons-wyandots de la réserve huronne maintenant appelée Wendake. À l'extrême gauche se trouve Michel Tsioui (Teachendale), chef de guerre. Au centre est Stanislas Coska (Aharathaha), deuxième chef du conseil. À droite, André Romain (Tsouhahissen), premier chef du conseil). »

« Les Abénakis », aquarelle du 18e siècle, artiste inconnu (Archives de Montréal)


« L’ennemi sauvage franchit silencieusement les palissades à l’angle nord-ouest, là où les vents d’hiver avaient accumulé d’imposants amas de neige. Il se dispersa entre les maisons paisibles. Puis, l’effroyable cri de guerre éclata, suivi des coups de hache fracassant les portes qui résistaient, des flammes qui s’élevaient et des détonations des mousquets».

Représentation du raid de 1704 sur Deerfield, Massachusetts, dessin de Walter Henry Lippincott en 1900 (Wikimedia Commons).

Avec leurs visages peints et leurs cris de guerre retentissants, les autochtones lancèrent l’attaque. Les assaillants passèrent d’une maison à l’autre, armés de baïonnettes ou de tomahawks, tuant les résidents ou les faisant prisonniers. Les biens de valeur furent pillés et plusieurs maisons incendiées. Seules quelques habitations, situées dans la partie sud de Deerfield, furent défendues avec succès.

« À la fin de la bataille, les deux seules maisons à l’intérieur de la palissade qui n’étaient pas réduites à des ruines fumantes étaient celles courageusement défendues ainsi que la maison de garnison. Cette dernière fut pillée et, lors de la retraite de l’ennemi, incendiée. Cependant, elle fut sauvée grâce aux efforts des quelques Anglais qui avaient échappé à la mort et à la capture et qui étaient encore dans le village. Avec le temps, ce bâtiment fut connu sous le nom de “The Old Indian House” (la Vieille Maison indienne). […] L’ancienne porte, parsemée de clous et marquée par les entailles des tomahawks autochtones, a heureusement été préservée. »

Jean-Baptiste Hertel de Rouville, peinture à l’huile créée avant 1713, artiste inconnu (Wikimedia Commons).

Tôt le lendemain matin, des miliciens des villages voisins de Hadley, Hatfield et Northampton arrivèrent, forçant les assaillants à prendre la fuite. Les miliciens, accompagnés des soldats de la garnison et de quelques résidents, se lancèrent à leur poursuite. Cependant, des escarmouches meurtrières dans les North Meadows (prairies du nord) les contraignirent finalement à se replier. Au cours de ce qui est désormais appelé le « combat des prairies », deux habitants, deux soldats et cinq miliciens perdirent la vie.

Du côté des attaquants, 22 Français furent blessés, dont de Rouville, et deux furent tués. Sept Autochtones périrent, et de nombreux autres furent blessés.

L’attaque dévasta le village de Deerfield : 17 des 41 maisons furent détruites, 38 villageois et 3 soldats tués, et 109 résidents capturés, dont trois Français qui vivaient parmi eux. Près de 40 % de la population de Deerfield fut ainsi kidnappée, la majorité étant composée de femmes et d’enfants. Les agresseurs autochtones avaient l’intention d’adopter les plus jeunes captifs au sein de leurs communautés ou de les vendre. Parmi les prisonniers figurait le révérend du village, John Williams, ainsi que mes deux ancêtres, Abigail et Josiah. En 1707, Williams publia un récit de son expérience intitulé The Redeemed Captive Returning to Zion.


« Au lever du soleil le 29 février 1704, une grande partie de la colonie anglaise de Deerfield était dévastée par l’armée d’alliés français et autochtones. »

Image : Juliet Jacobson, artiste, du site web Raid on Deerfield : The Many Stories of 1704 (http://1704.deerfield.history.museum/).  Utilisée avec la permission de la Pocumtuck Valley Memorial Association, Deerfield, MA.


Un long voyage vers le nord

« La marche vers le Canada, 1704. Cette carte illustre le parcours de plus de 480 kilomètres emprunté par les captifs anglais et leurs ravisseurs français et autochtones, depuis Deerfield jusqu’au Canada. »

Carte : Juliet Jacobson, artiste, du site web Raid on Deerfield : The Many Stories of 1704 (http://1704.deerfield.history.museum/).  Utilisée avec la permission de la Pocumtuck Valley Memorial Association, Deerfield, MA.

Et c’est ainsi que débuta la randonnée de 480 kilomètres de mes ancêtres vers le Canada en plein hiver. Sur les 112 captifs qui entreprirent ce périple, seuls quelques-uns parvinrent à s’échapper. Les ravisseurs demandèrent au révérend Williams de transmettre un message au groupe : tout évadé capturé serait torturé. À partir de ce moment, plus personne n’osa tenter de fuir. De plus, Williams et les autres hommes étaient ligotés chaque nuit.

Le révérend Williams décrivit les sentiments des villageois en quittant Deerfield :

« Qui peut dire quels sons ont transpercé nos âmes, quand nous nous sommes vus emportés du sanctuaire de Dieu, pour aller dans une terre étrangère, exposés à tant de labeurs ; le voyage d’au moins 300 miles [480 km] que nous devions parcourir ; la neige jusqu’aux genoux, et nous n’avions jamais enduré de telles épreuves et fatigues ; l’endroit où nous devions être transportés, un pays papiste. »

Une fois le groupe ayant traversé la rivière au nord de la ville et atteint le pied d’une montagne, les captifs furent contraints de retirer leurs chaussures et d’enfiler des mocassins (chaussures traditionnelles en peau de cerf ou en cuir) afin de marcher plus rapidement dans la neige.

Sur les 112 personnes ayant entamé cette randonnée vers le nord, on estime que 89 ont survécu et atteint le Québec. Bien qu’il soit dans l’intérêt des ravisseurs autochtones de garder leurs captifs en vie, toute personne incapable de suivre le rythme, malade ou blessée, était exécutée et abandonnée en chemin. Tragiquement, cela concernait principalement les jeunes enfants, les nourrissons et les femmes enceintes. L’épouse du révérend Williams, Eunice, qui avait accouché seulement six semaines auparavant, fut l’une des premières victimes. La mère d’Abigail connut également le même sort.

« Révérend John Williams », portrait datant d’environ 1710, supposé être celui de John Williams, artiste inconnu (Wikimedia Commons).

Décrivant le deuxième jour de leur longue randonnée, le révérend Williams écrit :

« On m’a fait patauger dans une petite rivière, tout comme les Anglais, l’eau au-dessus des genoux, le ruisseau très rapide ; et après cela, monter une petite montagne ; mes forces étaient presque épuisées… J’ai demandé à chacun des prisonniers (lorsqu’ils me dépassaient) à son sujet [mon épouse Eunice], et j’ai entendu qu’en traversant la rivière mentionnée ci-dessus, elle est tombée, sa tête et ses oreilles se plongeant dans l’eau ; après quoi elle n’a pu voyager bien loin », et, incapable de suivre, elle a été tuée. 

Lorsque le groupe atteignit la rivière Connecticut, les Autochtones utilisèrent des traîneaux pour transporter leurs guerriers blessés ainsi que les plus jeunes enfants. D’autres enfants furent portés. Williams raconte : 

« Ma plus jeune fille, âgée de sept ans, a été portée pendant tout le voyage et a été gardée avec beaucoup de tendresse. Mon plus jeune fils, âgé de 4 ans, a été merveilleusement préservé de la mort ; car bien que ceux qui le portaient ou le tiraient sur des traîneaux étaient fatigués de leurs voyages, leurs humeurs sauvages et cruelles étaient si dominées par Dieu, qu’ils ne l’ont pas tué […]. »

Pour les adultes, la marche fut bien plus éprouvante. Le révérend Williams décrit ainsi le 19e jour : « Ma marche sur le fleuve français (Winooski) a été très douloureuse ; par crainte d’un dégel, nous l’avons parcouru à un rythme très soutenu ; mes pieds étaient tellement meurtris et mes articulations si déformées par ce voyage dans des chaussures de neige, que je pensais qu’il était impossible de tenir le coup. »

La marche au (dessin par Howard Pyle publiée en 1902, Wikimedia Commons).

« La marche vers le Canada », illustration de Howard Pyle publiée en 1902 (Wikimedia Commons).

Selon le récit de Williams, le groupe marcha vers le nord le long de la rivière Connecticut gelée, avant de remonter la rivière Wells et de descendre la rivière Winooski, pour finalement atteindre le lac Champlain, qui chevauche la frontière. Les nuits étaient passées dans des abris rudimentaires ou des wigwams construits à partir de broussailles et de branches d’épinettes coupées.

Depuis le lac Champlain, le groupe se rendit à Chambly avant de se disperser. Chaque ravisseur autochtone emmena ses captifs dans son propre village. Là, les captifs furent soit adoptés au sein de la communauté comme membres de la famille, soit réduits au rôle de serviteurs ou d’esclaves, soit gardés en vue d’une rançon, ou encore vendus contre de l’argent.

Destins négociés

Le gouverneur Dudley organisa rapidement des raids de représailles contre plusieurs villages acadiens, dont Pentagouet, Passamaquoddy Bay, Grand Pré, Pisiquid et Beaubassin. Ses hommes avaient pour mission de capturer des villageois qui pourraient être échangés contre les captifs pris à Deerfield. Pendant ce temps, les résidents de Deerfield collectaient de l’argent pour payer des rançons, espérant ainsi racheter la liberté de leurs proches.

En 1705, la plupart des captifs de Deerfield avaient été vendus ou échangés aux Français par leurs ravisseurs autochtones. Cependant, certains des plus jeunes prisonniers restèrent entre les mains des Autochtones. Les deux groupes tentèrent d’assimiler les captifs à leurs cultures respectives : pour les Français, la priorité était la conversion au catholicisme, tandis que les Autochtones intégraient les captifs à leur mode de vie traditionnel.

L’une de ces captives était Eunice, la fille de huit ans du révérend Williams, qui fut adoptée par une tribu mohawk. Complètement assimilée, elle épousa un Mohawk à l’âge de 16 ans et ne revit sa famille anglaise que bien plus tard. D’autres captifs, bien qu’ils aient eu la possibilité de retourner en Nouvelle-Angleterre, choisirent de rester dans leurs nouveaux foyers, qu’ils soient français ou autochtones.

À la fin de 1706, la plupart des prisonniers de Deerfield qui souhaitaient rentrer chez eux purent le faire grâce à des paiements de rançon ou des échanges de prisonniers coordonnés par le gouverneur. Sur les 89 captifs qui avaient atteint le Québec, 36 y restèrent de façon permanente, dont ma 7e arrière-grand-mère Abigail Nims et mon 7e arrière-grand-père Josiah Rising. La plupart des historiens s’accordent à dire que ceux qui sont restés l’ont fait parce qu’ils avaient tissé des liens communautaires, familiaux et religieux avec leur entourage, s’assimilant complètement à leur nouvel environnement.

Parmi les captifs pris par les Abénaquis et les Pennacook, tous sauf trois furent vendus aux Français. Les Hurons, quant à eux, ne gardèrent aucun de leurs prisonniers. Les Mohawks de Kahnawake réussirent mieux à assimiler leurs six jeunes captifs, y compris Eunice Williams. 

En ce qui concerne les Iroquois, seule Hannah Hurst, âgée de huit ans, devint une « Iroquoise de la montagne ». Les autres furent vendus ou échangés. Deux d’entre eux, Abigail Nims et Josiah Rising, se marièrent plus tard et vécurent à Oka, où leurs liens avec leur village autochtone d’origine s’effacèrent progressivement avec le temps.

Grandir chez les Iroquois

Plan de la Mission de la Montagne où vivait Abigail, dessin de François Vachon de Belmont en 1694 (Archives nationales de France).

Abigail fut d’abord envoyée à la Mission de la Montagne, à Sault-au-Récollet, sur la Rivière-des-Prairies. Certains pensent que son ravisseur était Haronhiateka, chef du clan des ours de Sault-au-Récollet. Elle fut adoptée par une femme nommée Ganastarsie, probablement l’épouse de son ravisseur, et alla vivre dans sa maison longue. Abigail était probablement chargée de diverses tâches ménagères, telles que la collecte de l’eau, le nettoyage et la garde des jeunes enfants.

Josiah, quant à lui, fut emmené à Fort-Lorette. Cependant, peu d’informations subsistent sur son enfance dans cet endroit. Les deux enfants apprirent le français et l’iroquois et s’intégrèrent pleinement à leurs nouvelles communautés.

Un livre datant de la fin du XIXe siècle relatant l’adoption des enfants par les communautés iroquoises est clairement marqué par les préjugés de l’époque, décrivant leur expérience sous un jour défavorable. L’auteur adopte une perspective eurocentrique qui dénigre les modes de vie autochtones, les considérant comme inférieurs :

« Là, ils vivaient à la pure mode indienne, se roulant dans la terre avec les papooses [enfants autochtones] et les chiots avec lesquels le village grouillait, et attrapant rapidement la langue iroquoise. […] Imaginez la vie de ces enfants au fort indien. Le wigwam sombre, froid et enfumé ; les vêtements dans lesquels ils avaient été arrachés de la maison devenus des chiffons et de la saleté, remplacés enfin par une couverture qui était leur robe le jour, leur lit la nuit ; aliments grossiers et désagréables : maïs pilé, trempé et bouilli dans un potage peu recommandable ; la citrouille rôtie un luxe rare. »

Ce récit offre un aperçu des conditions physiques auxquelles les captifs ont pu être confrontés, mais il est fortement biaisé. Il omet de reconnaître la richesse culturelle et la résilience des communautés autochtones qui ont intégré ces enfants dans leur mode de vie.

 

Maquette des maisons longues traditionnelles iroquoises, photo prise au musée du Château Ramezay par Jeangagnon (Wikimedia Commons).

 

Josiah reçut le nom autochtone de ShoentakȢanni, qui se traduit approximativement par « son village lui a été enlevé », tandis qu’Abigail fut appelée TȢatogȢach, signifiant « celle qui obtient l’eau ».


 

L’utilisation du caractère Ȣ dans les noms autochtones :

De nombreuses langues autochtones du Canada n’avaient pas de formes écrites il y a plusieurs siècles, la communication étant principalement orale. Les chercheurs rencontrent souvent des documents généalogiques où figure un caractère ressemblant au chiffre 8. Ce symbole est en réalité la ligature Ȣ, qui représente le son [u], formée en superposant la voyelle u sur la voyelle o.

Lorsque les prêtres jésuites ont entrepris de transcrire les langues autochtones, ils ont dû relever le défi de représenter des sons sans équivalent direct en français. Le symbole Ȣ fut parfois utilisé pour indiquer le son [u] lorsqu’il précédait une consonne, ou la semi-voyelle [w] lorsqu’il précédait une voyelle. Cet usage est particulièrement courant dans les langues de la famille iroquoienne, comme le huron-wendat, où le Ȣ est devenu un outil précieux pour transcrire ces sons dans les traductions écrites.

 

Cependant, pour le clergé canadien-français, l’objectif principal était d’éduquer les enfants anglais et de les convertir rapidement à la foi catholique. Abigail fut instruite par les religieuses à l’école de la mission pour filles, dirigée par sœur Marie des Anges, une ancienne captive de la Nouvelle-Angleterre lors d’un raid précédent (elle s’appelait alors Marie Geneviève Saward).

Les enfants y apprenaient à chanter, lire, écrire et parler français, ainsi que le catéchisme. Les filles recevaient une formation aux tâches ménagères telles que la couture, le tricot et le filage. Quant aux garçons, ils étaient initiés à des métiers comme la menuiserie, la cordonnerie, la maçonnerie et d’autres artisanats.

Le 15 juin 1704, Abigail fut baptisée à Notre-Dame de Montréal, où elle reçut son nouveau nom français, Marie Elizabeth.

Baptême de Marie Elizabeth Nimbs en 1704 (Généalogie Québec)

Son acte de baptême se lit comme suit :

Le meme jour quinzieme de Juin de l’an mil sept cent quatre les ceremonies de batème ont été supplées par moi Prêtre soussigné a une petite fille Anglaise nommée en son pais Abigail et maintenant Marie Elizabeth née a Dearfield en la Nouvelle Angleterre Le (31 Mai [illisible]) douzième jour de juin de lan mil sept cent du mariage du feu Geoffroi Nimbs Cordonnier et de Meetabel Smeed aussi defunte. Lenfant prise audit lieu l’onzième jour de mars dernier et demeurant en la cabane dune sauvagesse de la montagne appellée Ganastarsi. La marraine a été Demoiselle Marie Elizabeth Le moyne fille de Messire Charles Le moine Ecuyer Baron de Longueil Chevalier de l’ordre de St-Louis et Capitaine dune compagnie avec Francois Brunet qui a declaré ne savoir signer de ce enquis suivant lordonannce.

En 1706, Josiah fut également baptisé sous son nouveau nom français, Ignace. La cérémonie eut lieu à la mission de Sault-au-Récollet le 23 décembre 1706, alors qu’il avait environ 12 ans.

« Ursulines avec enfants autochtones », aquarelle de Lawrence R. Batchelor, vers 1931 (Bibliothèque et Archives Canada)

À ce stade précoce de leur captivité, plusieurs visiteurs de la Nouvelle-Angleterre allaient et venaient à la mission, tentant d’obtenir la libération des enfants anglais. Abigail aurait été cachée au couvent pendant ces négociations. En 1705, cinq captifs furent libérés et quatre autres parvinrent à s’échapper jusqu’à Deerfield. D’autres captifs furent relâchés l’année suivante. Cependant, pour des raisons inconnues, Abigail et Josiah ne furent pas renvoyés en Nouvelle-Angleterre. Alors que certains prisonniers anglais quittaient la mission, d’autres captifs continuaient d’être capturés et amenés.

« Nos deux captifs furent témoins de scènes sinistres et terribles lorsque les partis de guerre revinrent avec des scalps et des prisonniers. Deux longues rangées de sauvages, armés de gourdins et de haches, s’étaient formées à l’entrée du fort. Entre eux, les captifs, fatigués et endoloris, durent courir sur près de trois quarts de mile, tandis que leurs assaillants se moquaient d’eux et les frappaient au passage. Puis vint le terrible pow-wow, où les pauvres victimes furent contraintes de chanter et de danser autour d’un grand feu, tandis que leurs tourmenteurs hurlaient et criaient. Les enfants furent témoins de nombreux voisins de Deerfield amenés au fort de cette manière. »

De 1707 à 1711, aucun échange de prisonniers n’eut lieu. En 1712, le gouverneur canadien proposa un échange de captifs anglais détenus au Canada contre des prisonniers français retenus à Deerfield. En septembre de cette année-là, neuf captifs anglais de Deerfield retournèrent en Nouvelle-Angleterre, mais Abigail et Josiah n’étaient pas parmi eux.

Le frère d’Abigail, John, faisait partie du groupe envoyé pour récupérer les captifs au Canada. Selon divers témoignages, Abigail aurait dit à son frère qu’elle ne souhaitait pas partir. Josiah refusa également l’offre d’un parent de le ramener chez lui.

Après la signature du traité d’Utrecht, une nouvelle tentative fut faite en 1714 pour libérer les derniers captifs de Deerfield, l’esclavage n’étant désormais plus légal.

Maison iroquoise à Oka, dessin de Lester G. Hornby (Bibliothèque et Archives Canada)

Le 29 juillet 1715, Abigail, âgée de 15 ans, épousa Josiah, âgé de 21 ans. L’acte de mariage les désigne sous les noms d’Ignace ShoentakȢanni et Elizabeth TȢatogȢach, précisant que les deux Anglais souhaitent rester avec les Indiens chrétiens, renonçant non seulement à leur nation, mais exprimant également le désir de vivre « en sauvages ».

Le père de Josiah, John Rising, décéda en 1719. Dans son testament, il légua à Josiah cinq livres, à condition qu’il retourne en Nouvelle-Angleterre. Josiah ne revint jamais.

En 1721, la mission de la Montagne fut transférée de Sault-au-Récollet au Lac-des-Deux-Montagnes (l’actuel Oka). Les prêtres sulpiciens accordèrent à Abigail et Josiah une parcelle de terre assez vaste. Devenus cultivateurs, ils exploitèrent leur propriété, qu’ils nommèrent Risingland.



Abigail et Josiah eurent au moins huit enfants :

  • Marie Madeleine (1716-1796) : Devint religieuse sous le nom de sœur Saint-Herman.

  • Amable Simon (1719-1788) : Devint prêtre.

  • Marie Anne (vers 1721-1787) : Épousa Louis Séguin dit Ladéroute.

  • Marie Catherine (vers 1723-?) : Épousa Jean Baptiste Séguin dit Ladéroute.

  • Marie Anastasie (vers 1725-1798) : Épousa Jean Baptiste Sabourin, puis Pierre Castonguay.

  • Suzanne (vers 1727-?) : Épousa Joseph Gentien dit Chénier.

  • Marie (1735-1811) : Devint religieuse sous le nom de sœur Saint-Ignace et obtint le titre de supérieure générale de sa congrégation locale.

  • Jean Baptiste Jérôme (1740-1795) : Épousa Marie Charlotte Sabourin, s’installa sur la propriété familiale et eut 10 enfants. Bien qu’il ait voulu devenir prêtre, il ne put réaliser ce souhait. À la place, il transforma sa maison en une communauté religieuse, accueillant les pauvres, les orphelins et les démunis.


Les derniers jours d’Abigail et de Josiah

Abigail Nims est décédée à l’âge de 46 ans et fut inhumée le 3 janvier 1747 à Oka. Durant ses derniers jours, alors qu’elle souffrait d’une maladie mortelle, elle aurait refusé d’enlever son cilice, qu’elle portait constamment en signe de pénitence. Son acte de sépulture précise qu’elle avait été « adoptée dans la cabane des chefs de la famille de l’ours après avoir été prise pendant le temps des guerres ». 

Josiah Rising est décédé à l’âge de 77 ans et fut inhumé le 30 décembre 1771 à Oka.


La maison Raizenne à Oka

« Maison de la famille Raisenne à Oka », dessin de Charles P. Beaubien (Bibliothèque et Archives nationales du Québec).

Le nom Rising a évolué en « Raizenne » en français. La maison Raizenne, construite en 1717, est la plus ancienne maison d’Oka. Elle est restée dans la famille Raizenne pendant 231 ans, se transmettant de génération en génération. En 2015, elle appartenait à la famille Beaupré et a servi de décor pour une scène du film X-Men : Apocalypse, où elle représentait une maison en Pologne. Pour en savoir plus, consultez l’article de L’Éveil ici.

Aujourd’hui, la maison appartient à la famille Meyer, qui s’efforce de la faire classer comme bien patrimonial afin d’assurer sa préservation pour les générations futures.

« 1717 » gravé au-dessus de la porte d'origine de la maison Raizenne (photo reproduite avec l'autorisation de Pat Meyer).

Plusieurs des enfants Raizenne ont fondé de grandes familles. Par conséquent, des milliers de Canadiens français peuvent retrouver Abigail Nims et Josiah Rising dans leurs arbres généalogiques.


 

Pour voir une liste de tous les captifs de Deerfield ainsi que leur sort, cliquez ici.

Pour voir des photos de l'actuel « Historic Deerfield » au Massachusetts, cliquez ici.

Pour consulter des courtes biographies de tous les participants au raid de Deerfield en 1704, visitez le site http://1704.deerfield.history.museum/people/short_bios.jsp par la Pocumtuck Valley Memorial Association (PVMA) / Memorial Hall Museum (en anglais seulement).


 

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Bibliographie :

  • « Massachusetts, Town Records, 1620-1988 », images numérisées, Ancestry.ca (https://www.ancestry.ca/imageviewer/collections/2495/images/40143_264692__0004-00098?pId=5936100 : consulté le 10 déc. 2024), naissance d’Abigail Nims, 27 mai 1701, Deerfield ; citant les données originales : Town and City Clerks of Massachusetts. Massachusetts Vital and Town Records. Provo, UT: Holbrook Research Institute (Jay and Delene Holbrook).

  • « North America, Family Histories, 1500-2000 », images numérisées, Ancestry.ca (https://www.ancestry.ca/imageviewer/collections/61157/images/46155_b289654-00041?pId=530470 : consulté le 10 déc. 2024), naissance de Josiah Rising, 2/21 fév. 1694 ; citant les données originales : Rising Genealogy : descendants of Jonathan Rising of Suffield, Connecticut.

  • Clifton Johnson, An Unredeemed Captive: Being the Story of Eunice Williams (Holyoke, Mass. : Griffith, Axtell & Cady Company, 1897), 28, 30-31. Numérisé par Google Books (https://play.google.com/books/). Nos traductions.

  • John Williams, The Redeemed Captive: A Narrative of the Captivity, Sufferings, and Return of the Rev. John Williams, Minister of Deerfield, Massachusetts, who was Taken Prisoner by the Indians on the Destruction of the Town, A.D. 1704 (New York, NY : S.W. Benedict & Company, 1833), 9. Numérisé par Google Books (https://play.google.com/books/). Notre traduction.

  • Historic Deerfield, Inc., The French and Indian Raid on Deerfield, Massachusetts, February 29, 1704 (Deerfield, Massachusetts: Historic Deerfield Publications, 2008), 12, 16-17. Nos traductions.

  • Alice C. Baker, True Stories of New England Captives Carried to Canada during the Old French and Indian Wars (Greenfield, Mass. : Press of E. A. Hall & Co., 1897), 237-238, 241, 247-248. Numérisé par Google Books (https://play.google.com/books/). Nos traductions.

  • « Le LAFRANCE (Baptêmes, Mariages, Sépultures) », base de données et images numérisées, Généalogie Québec (https://www.genealogiequebec.com/Membership/LAFRANCE/acte/175370 : consulté le 10 déc. 2024), baptême de Marie Elisabeth Nimbs, 15 juin 1704, Montréal (Notre-Dame-de-Montréal) ; citant les données originales: Gabriel Drouin, Collection Drouin, Institut Généalogique Drouin, Montréal, Québec, Canada.

  • Ibid. Québec (https://www.genealogiequebec.com/Membership/LAFRANCE/acte/10025 : consulté le 10 déc. 2024), mariage d’Ignace Shoentakouani et Elisabeth Touatogouach, 29 juil. 1715, Oka (L’Annonciation).

  • Ibid. (https://www.genealogiequebec.com/Membership/LAFRANCE/acte/111703 : consulté le 10 déc. 2024), sépulture d’Elisabeth Nimbs, 3 janv. 1747, Oka (L’Annonciation).

  • Ibid. (https://www.genealogiequebec.com/Membership/LAFRANCE/acte/415924 : consulté le 10 déc. 2024), sépulture d’Ignace Raizenne, 30 déc. 1771, Oka (L’Annonciation).

  • Université de Montréal, base de données, Programme de recherche en démographie historique (PRDH)  ((https://www-prdh-igd-com/Membership/en/PRDH/Famille/11967 : consulté le 17 oct. 2019). Entrée du dictionnaire pour IGNACE RAIZENNE SHOENTAKOUANI et MARIE ELISABETH NIMBS TOUATOGOUACH (union 11967).