Variole
Apprenez comment des épidémies fréquentes ont ravagé la vie canadienne pour plus de 300 ans
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La variole en Nouvelle-France et au Canada :
Des épidémies fréquentes ont ravagé la vie canadienne pour plus de 300 ans
La variole, ou petite vérole, était une maladie hautement contagieuse causée par les virus Variola major et Variola minor. Au Canada français il y a quelques siècles, on l'appelait communément « picotte », « picote », ou même « grosse picote », noms dérivés du verbe picoter, soit « marquer de petits trous, de taches, de points", se référant aux pustules qui recouvraient le corps d'une personne affectée (à ne pas confondre avec la « picote » de nos jours, le terme couramment utilisé pour décrire la varicelle).
Symptômes
Les premiers symptômes de la variole étaient similaires à ceux de la grippe. Les personnes touchées pouvaient avoir de la fièvre, des maux de tête, des vomissements, des maux de dos sévères et parfois des douleurs abdominales et même le délire. En deux à quatre jours, la fièvre diminuait et une éruption cutanée commençait à se développer. La variole était parfois appelée « la mort rouge » en référence à ce rash de couleur rouge foncé.
Des éruptions cutanées et des cloques commençaient à apparaître dans la bouche ou le larynx de la personne, puis se propageaient à la peau. Ces macules, papules, vésicules et pustules partaient du visage et des extrémités et se répandaient tout au long du corps. Les cloques éclataient, répandant du pus infecté qui finissait par se dessécher. Par la suite, ces croûtes se séparaient et tombaient au bout d'environ 3 à 4 semaines. En dessous, la peau n'avait plus de pigment et laissait des cicatrices déprimées, caractéristiques de la maladie.
Le taux de mortalité de la variole était d'environ 30 % ; ceux qui y survivaient avaient souvent des cicatrices permanentes et certains auraient même perdu la vue. On estime que dans l'Europe du XVIIIe siècle, 80 à 90 % de la population totale aurait contracté la variole à un moment de leur vie.
Transmission
La variole se propageait par des gouttelettes ou des aérosols infectés. La transmission se produisait lorsque quelqu'un entrait en contact direct avec ces gouttelettes ou les inhalait, ou touchait des éruptions cutanées ou des cloques infectées. Cela pourrait également se produire en entrant en contact avec des objets contaminés tels que des vêtements, des draps ou du linge de maison. Historiquement, la variole était très contagieuse. Pour chaque personne infectée, jusqu'à 10 à 20 personnes supplémentaires contractaient la maladie.
Origines
On croit que la variole est originaire de l'Asie de l'Est, puis s'est propagée au Moyen-Orient, en Inde, en Afrique et en Europe. Au XVIe siècle, elle est apparue dans les Amériques, frappant pour la première fois les Antilles en 1507, probablement introduite par des marins espagnols. Comme nous le verrons avec la Nouvelle-France, la variole a été particulièrement dévastatrice pour les populations autochtones de l'Amérique du Sud et de l'Amérique centrale.
Il faudra encore un siècle avant que la variole n'atteigne les côtes de la Nouvelle-France.
Épidémies fréquentes en Nouvelle-France
La première épidémie en Nouvelle-France a frappé un poste de traite près de l'actuel Tadoussac en 1616. Apportée par des colons français, la variole a décimé la population autochtone innue (les « Montagnais ») et algonquine qui n'avaient pas d'immunité naturelle contre la plupart des maladies européennes. À partir de Tadoussac, la maladie s'est propagée à d'autres populations autochtones des Maritimes, de la baie James et des Grands Lacs. En 1639, la maladie a entraîné la mort de 60 % des peuples autochtones hurons-wendats, probablement introduite par des prêtres jésuites. De 1663 à 1665, les Haudenosaunee (les « Iroquois ») sont durement touchés par la maladie. 1 300 sont mort, dont 300 enfants, et leurs villages abandonnés.
La variole réapparut vers 1670-1680, anéantissant presque toute la communauté de la nation atikamekw qui vivait le long de la rivière Saint-Maurice. Elle s'est ensuite étendue aux Haudenosaunee, Algonquins et Innus. À l'hiver 1669-1670, la variole atteint la rive nord du fleuve Saint-Laurent, près de Tadoussac, de l'île Verte et de Sillery. Les nations des Algonquins, Innu et Opâpinagwa (les « Papinachois ») ont été touchées, avec plus de 250 morts. Le poste de Tadoussac fut quasiment abandonné. Pendant le reste du XVIIe siècle, la variole était presque toujours présente au sein des groupes autochtones, qui ont involontairement propagé la maladie lorsqu'ils voyageaient et faisaient du commerce entre eux.
Au tournant du XVIIIe siècle, la variole toucha gravement la population canadienne de souche européenne pour la première fois. La plupart des habitants nés au Canada, comme la population autochtone, n'avaient aucune immunité naturelle contre la maladie. En 1699, une épidémie de variole tua plus de 100 personnes en Nouvelle-France. En novembre 1702, une autre épidémie éclate à Québec, qui aurait été introduite par un autochtone venant d'Orange (Albany, New York). À cette époque, la variole ravageait New York et la Nouvelle-Angleterre. Elle s'est rapidement propagée au reste de la colonie française, faisant de 2 000 à 3 000 morts, autochtones et non-autochtones. L'épidémie hivernale de 1702-1703 est considérée comme l'épidémie de variole la plus meurtrière pour la population non-autochtone. La moitié de la population totale a été touchée et environ 10 % des habitants sont morts dans l'espace de six mois.
Après quelques décennies de répit, une autre épidémie s'est produite en 1732-1733. Une éclosion originaire de Boston a frappé Louisbourg, sur l'actuelle île du Cap-Breton en Nouvelle-Écosse. Près de 200 personnes sont mortes, dont plusieurs enfants. Le reste de la Nouvelle-France a également souffert d'une épidémie de variole pendant cette période.
De 1755 à 1775, la variole frappa de nouveau. Cette épidémie affecta même la guerre de Sept Ans, déraillant les plans militaires du capitaine Vaudreuil pour attaquer la Nouvelle-Angleterre. Plus de 2 500 cas ont été signalés à Québec au cours des deux premières années, avec un taux de mortalité approchant les 20% de la ville. La variole qui a ravagé le Canada au cours de cette période de deux ans est considérée comme la pire épidémie de variole de l'histoire du pays.
Incroyablement, la variole aurait put être utilisée comme arme biologique contre les peuples autochtones dans les années 1760. Une correspondance découverte entre Jeffery Amherst, commandant en chef des forces britanniques en Amérique du Nord et l'un de ses colonels, discute de la tactique consistant à donner des couvertures contaminées aux Autochtones. Nous ne savons pas avec certitude que les directives d'Amherst ont été suivies, mais l'indignation qu'elle a provoquée dans les dernières années a suffi à voir le nom d'Amherst retiré d'une rue de Montréal. Elle s'appelle désormais rue Atateken, qui signifie « frères et sœurs » en langue kanienʼkéha.
Variolisation
Peu de temps après la cession de la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne en 1763, le concept de variolisation fut introduit dans le monde (au XVIIIe siècle, la variolisation était aussi appelée « inoculation variolique », à ne pas confondre avec l'utilisation actuelle de « inoculation », utilisée de façon interchangeable avec « vaccination »). La théorie de base était qu'une personne qui avait contracté la variole ne pourrait pas la contracter une deuxième fois. Une petite égratignure sur le bras était considérée comme le moyen le plus efficace d'exposer les gens à une forme moins grave du virus. La variolisation fut largement utilisée en Europe au milieu du XVIIIe siècle, et ensuite au Québec par les familles de la classe supérieure, ainsi que les troupes britanniques stationnées là.
La Quebec Gazette du 12 octobre 1769 présenta cette nouvelle: « La variole fait rage ici avec grande violence et est extrêmement fatale, rare un jour passe sans que six ou sept personnes meurent. Il faut espérer que la fatalité cessera bientôt, comme les habitants canadiens ont enfin approuvé de l'inoculation [la variolisation], grâce aux conseils judicieux de leur clergé, et en voyant la méthode suttonienne facile et réussie, pratiquée ici par M. Latham, chirurgien du roi, Montréal .» [notre traduction]
En 1775, la variole joue un rôle majeur dans le contrecoup d'une invasion de Québec par George Washington et ses troupes. Washington a tenté d'inoculer ses hommes à Boston avant leur départ, mais il avait attendu trop longtemps. Au moment où son armée était prête à attaquer, de nombreux de ses hommes avaient déjà contracté la variole et étaient trop malades pour continuer. Les troupes britanniques, en revanche, avaient toutes été immunisées. Washington n'a pas eu d'autre choix que de battre en retraite.
À Québec, un nouveau « cimetière des picotés » fut établi en 1779 près de l'Hôtel-Dieu [situé sur l'actuelle rue Hamel dans le Vieux-Québec]. Il sera utilisé jusqu'en 1857 avant d'être abandonné. La variole frappa à nouveau en 1783, avec 1 000 morts dans la ville de Québec seulement. Cette épidémie s'est répandue dans toute la colonie.
Vaccination, émeutes et éradication
Un vaccin antivariolique a été introduit en Amérique du Nord en 1798 par Edward Jenner. Ce fut le premier vaccin réussi à être développé. En 1801, il était disponible dans le Bas-Canada (la province actuelle de Québec). Les premières personnes vaccinées furent les enfants du capitaine William Backwell, vaccinés par le colonel George Thomas Landmann à Québec.
Après la Confédération en 1867, les provinces canadiennes ont rendu obligatoire la vaccination des écoliers. Des lois ont également été mises en place pour permettre aux municipalités d'appliquer la vaccination obligatoire si une épidémie était imminente. Bien que la plupart des promoteurs de la santé aient exhorté tout le monde à se faire vacciner, il y a eu une forte résistance de la part des antivaccinistes tout au long du XIXe siècle, particulièrement à Montréal.
En 1885, une épidémie dévastatrice de variole a frappé la ville. La maladie est arrivée à Montréal en février sur le Grand Trunk Railway et l'un de ses conducteurs, George Longley, qui l'avait attrapée à Chicago. Arrivé à la gare Bonaventure avec une fièvre élevée et une éruption cutanée rouge, il fut envoyé à l'Hôpital général de Montréal (puisqu'il était protestant). Un médecin lui a diagnostiqué la variole, mais a refusé de l'admettre à l'hôpital. Longley fut ensuite envoyé à l'Hôtel-Dieu, où il fut admis. Malgré avoir survécu lui-même la variole, Longley a infecté le personnel de l'hôpital qui nettoyait ses draps. La première victime fut une acadienne nommée Pélagie Robichaud, qui travaillait à la buanderie. Elle est décédée peu après l’arrivée de Longley, suivie de sa sœur. Bientôt, la variole sévit à l'hôpital et elle se répandit rapidement dans les rues de Montréal.
L'épidémie de 1885 a fait plus de 5 864 morts et 20 000 personnes furent touchés. Malgré le taux de mortalité élevé, de nombreux Canadiens français ont résisté à l'ordonnance de vaccination obligatoire de la ville. Ils étaient très sceptiques à l'égard du gouvernement, refusant toute mesure pour les contrôler ou « empoisonner leurs enfants ». En représailles, certains journaux anglais ont publié des articles racistes blâmant les Canadiens français pour l'épidémie et les qualifiant d'arriérés et malpropres. Certains médecins canadiens-français ont encore compliqué la situation en exprimant leur scepticisme à l'égard du vaccin, certains formant même la Ligue contre la vaccination obligatoire. L'épidémie, couplée au procès du chef métis Louis Riel, a conduit à des émeutes dans le rues de Montréal, opposant les Canadiens français et anglais. Même les travailleurs chargés de l'assainissement qui tentaient de retirer les corps des quartiers les plus touchés furent attaqués par des foules. 9 victimes sur 10 qui ont perdu la vie étaient des Canadiens français, la plupart des enfants.
La production du vaccin antivariolique a commencé au Canada en 1916. Malgré cela, la maladie a persisté jusqu'en 1946, lorsque les campagnes de vaccination ont finalement réussi à l'éliminer.
Dans les années 1960, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) mena une campagne mondiale de vaccination visant une couverture de 80% dans tous les pays, suivie d'une vaccination ciblée. Elle a déclaré la variole éradiquée en 1980, après deux ans sans aucun cas à travers le monde. Le tout dernier cas s'est produit en Somalie en 1977.
À ce jour, la variole est la seule maladie humaine à avoir été éradiquée avec succès par les vaccins.
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