Michel André dit St-Michel & Françoise Jacqueline Nadreau
Retournez au XVIIe siècle en Nouvelle-France, où la famille André a enduré les horreurs du massacre de Lachine de 1689. Leur histoire est celle d'une résilience et d'une survie dans un monde marqué par le conflit et la perte.
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La famille André et le massacre de Lachine
Le récit d’une famille à travers la guerre, la captivité et la perte
Michel André dit St-Michel, fils de Richard André et de Jeanne Poirier, est né vers 1639 dans la paroisse Notre-Dame de La Cambe, en Normandie, France.
Aujourd’hui, La Cambe est une petite commune rurale située dans le département du Calvados, avec une population d’environ 500 habitants. Elle est surtout connue pour son cimetière allemand de la Seconde Guerre mondiale, où reposent 21 222 soldats morts en 1944. À proximité, un jardin de la paix de trois hectares abrite environ 1 200 érables offerts par des donateurs du monde entier.
Un nouveau départ à Montréal
La date exacte de l’arrivée de Michel en Nouvelle-France demeure incertaine. Cependant, comme son contrat de mariage est rédigé en mai 1663 et que les bateaux ne naviguent pas en hiver, il est probable qu’il soit arrivé à l’automne 1662.
En 1663, Michel rejoint la 11e escouade de la milice de la Sainte-Famille à Montréal. Cette milice est créée par Paul de Chomedey de Maisonneuve, fondateur et gouverneur de Montréal, pour faire face à la menace des groupes autochtones, notamment les Iroquois (les Haudenosaunee), qui avaient tué ou capturé plusieurs colons depuis 1642. Sous le patronage de la Sainte Famille — Jésus, Marie et Joseph — Maisonneuve organise la milice en escouades de sept hommes, chacune élisant un caporal. Au total, 139 hommes se portent volontaires, dont Michel André dit Saint-Michel.
En tant que milicien, Michel aurait patrouillé le long du fleuve Saint-Laurent, monté la garde aux murs de la colonie la nuit et escorté les fermiers dans leurs champs durant la journée. L’aide tant attendue par Maisonneuve arrive finalement en 1665, avec l’arrivée du régiment de Carignan-Salières. Par la suite, la milice de la Sainte-Famille est dissoute en 1666.
Françoise Jacqueline Nadreau, fille de Jacques Nadreau et de Marie Lebrun (ou Brun), est née le 3 novembre 1642. Elle est baptisée « Françoise Jacquine » le 20 octobre 1644 dans la paroisse Saint-Jean de Courcelles, Maine, France (aujourd’hui Courcelles-la-Forêt, dans le département de la Sarthe, région de la Loire). Son père est architecte et maître-tailleur de pierre. Son parrain est Jacques Dubou[set ?] et sa marraine est Françoise de Voynes.
Situé à environ 200 kilomètres au sud-ouest de Paris, Courcelles-la-Forêt est un petit village d’environ 400 habitants, appelés Courcellais. Il se trouve à une dizaine de kilomètres au nord de La Flèche, une ville qui a vu le départ de dizaines d’autres émigrants vers la Nouvelle-France.
Françoise Jacqueline perd son père à l’âge de trois ans, puis sa mère à sept ans. On sait peu de choses sur sa vie entre 1650 et 1658. Elle aurait pu être recueillie par des proches, placée dans une institution charitable ou sous la protection de religieuses. Il est également possible qu’elle ait travaillé comme domestique durant cette période. Quelles que soient les circonstances, à 15 ans, Françoise Jacqueline fait le choix audacieux de quitter la France en quête de nouvelles opportunités de l’autre côté de l’océan. Elle devient alors une « fille à marier », probablement recrutée dans la ville voisine de La Flèche.
Du mariage au deuil
La première mention de Françoise Jacqueline en Nouvelle-France remonte à 1658, lors de son mariage. À l’âge de 15 ans, elle épouse son premier mari, le meunier Michel Louvard dit Desjardins, le 23 septembre 1658, en l’église paroissiale Notre-Dame de Montréal. Le couple n’aura pas d’enfants avant la mort de Michel, survenue le 23 juin 1662. Son acte de sépulture précise qu’il a été « assassiné la nuit précédente sur le pas de sa porte on ne sait par qui si ce n’est par des sauvages loups qui estoient a l’habitation en grand nombre ». [Certains historiens, dont Peter Gagné, soutiennent que le terme « loups » ne désigne pas des animaux, mais plutôt des membres d’une tribu autochtone, qui auraient été en état d’ivresse au moment du meurtre de Michel. Gagné souligne qu’une ordonnance a été adoptée dès le lendemain, interdisant à quiconque de « vendre des boissons enivrantes aux Sauvages, vu l’assassinat du nommé Desjardins commis la nuit précédente par des Sauvages ivres ».]
Un nouveau chapitre pour Françoise Jacqueline
Le 20 mai 1663, le notaire Bénigne Basset dit Deslauriers rédige un contrat de mariage entre Michel André dit St-Michel et Françoise Jacqueline Nadreau. Michel, « habitant » de Ville-Marie (aujourd’hui Montréal), est fils d’un marchand-bouvier. Françoise Jacqueline, également résidente de Ville-Marie, est la veuve de Michel Louvard dit Desjardins. Le contrat est établi selon les normes de la Coutume de Paris. Michel parvient à signer le document d’une écriture assez large, tandis que Françoise Jacqueline en est incapable.
Michel et Françoise Jacqueline se marient le 18 juin 1663 à l’église paroissiale Notre-Dame de Montréal. Au moment de leur mariage, Michel a environ 24 ans et Françoise Jacqueline en a 20.
Michel et Françoise Jacqueline s’installent d’abord à Montréal, où ils auront au moins dix enfants, dont neuf filles :
Marie Gertrude (1664–1665) : son acte de sépulture indique qu’elle s’est noyée.
Marie Gertrude (1666–1689) : elle épouse François Philippon dit Maisonneuve le 16 janvier 1686 à Lachine. Ils auront deux filles, Louise Madeleine (1686–?) et Marie (1687–1689).
Catherine (1668–1673) : elle meurt tragiquement en tentant de s’échapper d’un tonneau où elle était enfermée à titre de punition.
Jeanne (1670–1687) : elle épouse le chirurgien Jean Michel dit Gascon le 11 février 1687 à Lachine. Ils auront un fils, Jean (1687–1687). Jeanne meurt de la fièvre.
Philippe (1672–?) : il est engagé comme voyageur le 31 mai 1695.
Pétronille (1674–1689) : elle épouse le marchand Charles Beloncque dit Fugère le 1er août 1689 à Lachine.
Marguerite (ca. 1676–1751) : elle épouse François Vinet dit Larente le 1er mars 1701 à Montréal. Ils auront deux enfants, Marguerite (1701–1745) et François (1703–1760). En secondes noces, Marguerite épouse Jean Baptiste Dubois dit Brisebois le 25 juin 1704 à Lachine. Ils auront sept enfants : Suzanne (1705–1775), Louis (1707–1789), Jacques (1709–1775), Ambroise (1711–1798), Marie Dorothée (1714–1794), Toussaint (1717–1791) et Marie Anne Clémence (1720–1758).
Marie (1678–?) : il n’y a pas d’autres détails sur sa vie.
Marie Angélique (1680–?) : il n’y a pas d’autres détails sur sa vie.
Louise Madeleine (1684–1684) : elle décède de « mort naturelle » et est la première personne à être enterrée dans le cimetière paroissial plutôt que dans la chapelle. Le 21 novembre 1687, ses restes sont exhumés avec la permission du grand vicaire de Montréal et réinhumés dans l’église de Lachine, au pied du confessionnal.
En 1666, Michel et Françoise Jacqueline figurent au recensement de la Nouvelle-France, résidant à Montréal. Michel est mentionné comme « habitant » (fermier).
L’année suivante, le couple apparaît de nouveau au recensement, vivant toujours à Montréal avec leur fille Gertrude, âgée de 14 mois. Ils possèdent six arpents de terre en culture, mais n’ont pas d’animaux de ferme.
La propriété en Nouvelle-France
Dans les années 1670, Michel et Françoise Jacqueline sont impliqués dans plusieurs transactions, principalement liées à des terres.
Le 18 mai 1671, Michel vend à Mathieu Gervais dit Le Parisien une concession de terre située sur l’île de Montréal, dans un endroit connu sous le nom de côte Saint-Sulpice (ou Lachine), pour 30 livres. Michel est inscrit comme habitant de l’île de Montréal. (Aujourd’hui, la côte Saint-Sulpice correspond à la partie ouest de Lasalle et à la partie est de Lachine.) Le terrain mesure deux arpents de front sur les rives du lac Saint-Louis et s’étend sur une profondeur de 30 arpents. Michel avait reçu cette concession le 31 août de l’année précédente. En plus du prix de vente, l’acquéreur s’engage à prendre à sa charge tous les cens et rentes à venir sur la propriété.
Le 11 juin 1673, Michel et Françoise Jacqueline échangent avec Jean Leroy et Marie Demers une terre de quinze arpents sur l’île de Montréal, située dans le quartier de Saint-Joseph, contre une terre de 60 arpents sur l’île de Montréal, dans un secteur connu sous le nom de côte Saint-Louis au-dessus du « cap Saint-Gilles ». (Aujourd’hui, le quartier Saint-Joseph se trouve à l’ouest de la rue McGill à Montréal, et la côte Saint-Louis correspond à la partie est de Lasalle.)
Le 8 octobre 1673, Michel achète à Jean Leduc un bœuf à poil brun, âgé de sept à huit ans, pour 100 livres en fourrures ou un fusil.
Le 27 décembre 1677, Michel achète de Pierre Mallet et de Marie Anne Hardy une concession de terre sur l’île de Montréal, dans un secteur appelé lac Saint-Louis, pour 200 livres. (Aujourd’hui, le lac Saint-Louis correspond à Lachine.) Michel est inscrit comme résident de la pointe Saint-Louis sur l’île de Montréal. La terre mesure cent arpents et est située sur les rives du lac Saint-Louis.
Le 10 décembre 1678, le Séminaire de Saint-Sulpice de Paris, seigneur et propriétaire de l’île de Montréal, demande l’arpentage de plusieurs terres situées « au bout d’en haut de l’île de Montréal » et la production d’un procès-verbal. La terre de Michel est incluse dans cette demande.
La mort tragique d’une fille
En 1673, un drame frappe la famille André, plaçant Françoise Jacqueline au cœur de la tragédie. Dans son livre Faits curieux de l’histoire de Montréal, l’auteur Édouard-Zotique Massicotte consacre trois pages à la mort tragique de Catherine.
Le 19 juillet de cette année-là, Françoise Jacqueline tente de discipliner sa fille Catherine, âgée de cinq ans, pour un mauvais comportement. Elle emmène Catherine dans la grange, l’enferme dans un tonneau et le recouvre d’une planche alourdie par un sac de farine pour empêcher sa fuite. Tragiquement, lorsque Françoise Jacqueline revient, elle découvre que Catherine est morte, piégée en tentant de s’échapper, son cou coincé entre la planche et le bord du tonneau.
Accablée par la peur et la culpabilité, Françoise Jacqueline se tourne d’abord vers sœur Marguerite Bourgeoys au lieu d’alerter immédiatement les autorités. Sœur Bourgeoys contacte rapidement la justice, et deux chirurgiens, Jean Martinet de Fonblanche et Antoine Forestier, sont appelés pour examiner le corps de l’enfant. Une enquête a lieu le 21 juillet, et des témoins confirment que Françoise, bien qu’aimante, utilisait régulièrement le tonneau comme moyen de discipline.
Malgré la tragédie, Françoise Jacqueline n’a pas fait face à d’autres conséquences juridiques, l’affaire ayant été classée sans inculpation.
Lachine : vivre à la frontière de la colonie
Vers 1676, la famille André prend la décision fatidique de quitter la ville de Montréal pour s’installer à Lachine, un petit village en pleine expansion. Ils s’installent d’abord dans un quartier de Lachine appelé La Présentation. La même année, à leur arrivée, la paroisse des Saints-Anges-Gardiens est fondée et une modeste chapelle est construite pour répondre aux besoins des villageois. Quelques années plus tard, la famille André déménage plus à l’est, s’établissant au cœur de Lachine.
Situé au sud-ouest de Montréal, sur les rives du lac Saint-Louis, Lachine est un point de départ stratégique pour la traite des fourrures dans les « Pays-d’en-Haut », une vaste région qui englobe le bassin des Grands Lacs. Le village accueille des colons français, des soldats et des commerçants de fourrures, qui interagissent régulièrement avec les groupes autochtones locaux, dont les Iroquois, dans le cadre d’échanges commerciaux. Toutefois, les tensions sont élevées, car les colons français empiètent de plus en plus sur les terres autochtones, rendant la menace de conflit omniprésente.
Plusieurs forts sont construits sur l’île de Montréal, y compris celui de Lachine. Érigé en 1671, il porte initialement le nom de Fort Lachine, avant d’être rebaptisé Fort Rémy en 1680, en l’honneur du curé local. Le fort sert également de moulin.
En 1681, Michel et Françoise Jacqueline figurent au recensement de la Nouvelle-France, vivant sur l’île de Montréal dans le fief de Verdun (Lachine), avec leurs sept enfants et un domestique de 34 ans nommé Jean. Michel est inscrit comme tanneur. La famille possède un fusil, onze bêtes à cornes et 16 arpents de terre cultivée.
Entre 1684 et 1689, Michel est inscrit comme sergent de milice à Lachine. De 1686 à 1689, il est également inscrit comme laboureur.
Les controverses de Françoise Jacqueline et sa fille Gertrude
Dans son livre La Vie libertine en Nouvelle-France au XVIIe siècle, l’auteur Robert-Lionel Séguin fournit une multitude d’informations détaillées sur Françoise-Jacqueline Nadreau (dite « la Saint-Michel ») et sa fille Gertrude André (dite « la Maisonneuve »).
Une fois la famille André établie à Lachine, Françoise Jacqueline, avec l’autorisation de son mari, ouvre un cabaret avec un certain Vincent Dugas. Rapidement, elle se retrouve au cœur de plusieurs scandales impliquant sa famille. Françoise Jacqueline et Michel sont accusés de tolérer des comportements indécents au cabaret, y compris la prostitution. En outre, Françoise Jacqueline est accusée non seulement de permettre à sa fille Gertrude de se livrer à des activités immorales, mais aussi de vendre illégalement des boissons alcoolisées dans leur établissement.
En mars 1689, Françoise Jacqueline se retrouve mêlée à une série de conflits publics et juridiques, principalement avec les familles Boutentrain et Chambly, ainsi qu’avec d’autres habitants de Lachine, qui l’accusent, elle et sa fille, d’inconduite. Le curé de Lachine, le père Rémy, dépose une plainte contre Françoise Jacqueline auprès du bailli de Montréal. On lui reproche non seulement d’exploiter son cabaret pour des activités scandaleuses, mais aussi de lancer des attaques verbales pour défendre l’honneur de sa famille. À plusieurs reprises, Françoise Jacqueline tente de se défendre en déposant des plaintes formelles. Cependant, ces efforts ne suffisent pas à endiguer les rumeurs et accusations croissantes, et son auberge finit par devenir synonyme de débauche dans la communauté. Malgré tout, elle continue à gérer son cabaret jusqu’à ce que des sanctions sévères soient imposées.
Gertrude, la fille de Françoise Jacqueline, se retrouve au cœur d’un scandale à Lachine. Elle est accusée de comportements immoraux en public et de se livrer à la prostitution. Selon les rapports, Gertrude aurait été aperçue en compagnie de plusieurs hommes, dont un sergent de la garnison locale nommé Fougère, avec qui elle a été surprise dans des situations compromettantes.
Les accusations contre Gertrude sont intensifiées par la rivalité entre sa famille et d’autres habitants de Lachine, en particulier le couple Boutentrain (Simon Davraux dit Boutentrain et Perrine Filiatrault). Les Boutentrains accusent ouvertement Gertrude d’indécence, affirmant l’avoir surprise lors de réunions clandestines. Bien que plusieurs témoins soutiennent ces accusations, beaucoup craignent les représailles des « amants » de Gertrude et demandent la protection de la justice. En réponse, Gertrude est « appréhendée et constituée prisonnière en la prison destinée pour les filles et femmes de mauvaise vie » pendant la durée du procès. Les témoins sont interrogés sur la « vie débordée et scandaleuse » de Gertrude.
Le procès révèle également que les parents de Gertrude, Françoise Jacqueline et Michel, sont accusés d’avoir délibérément « prostitué leur fille » et permis l’utilisation de leur cabaret comme lieu de rencontres douteuses. Ce scandale met en lumière le climat libertin de certaines régions de la Nouvelle-France, où les cabarets et débits de boissons jouent souvent un rôle central dans la vie sociale, notamment pour les soldats stationnés à la garnison de Lachine.
Bien que Michel semble moins directement visé par les plaintes, il est également impliqué dans des accusations concernant la mauvaise conduite de sa fille et la gestion de l’auberge, où se seraient déroulées des activités scandaleuses, notamment la prostitution et la vente illégale d’alcool.
Ces poursuites judiciaires n’ont finalement jamais abouti, en raison du déclenchement du massacre de Lachine.
À l’aube du massacre : l’escalade des tensions à Lachine
Comme Françoise Jacqueline le sait douloureusement, de nombreux colons du XVIIe siècle ont perdu la vie aux mains d’agresseurs autochtones, y compris son premier mari. Les conflits avec les groupes autochtones, notamment la Confédération iroquoise, durent depuis des années, marqués par de fréquentes attaques contre des colonies comme Ville-Marie (Montréal) et Trois-Rivières. Ces hostilités font partie d’un conflit plus vaste, les guerres franco-iroquoises, motivées par la volonté de la France de contrôler le commerce des fourrures et d’étendre son territoire en Amérique du Nord.
Les Iroquois, une puissante confédération de cinq nations (plus tard six) appelée Haudenosaunee, poursuivent leurs propres objectifs expansionnistes. Ils perçoivent la présence française comme une menace directe pour leur commerce des fourrures avec les Néerlandais, puis avec les Anglais à New York, qui constituent un lien économique essentiel pour leur peuple. La compétition pour le contrôle du commerce des fourrures intensifie le conflit, amenant les Iroquois à cibler les alliés des Français, tels que les Hurons, les Algonquins et d’autres nations autochtones alliées.
Les rivalités intertribales jouent également un rôle majeur, car des guerres éclatent fréquemment entre les Iroquois et leurs ennemis traditionnels, les Hurons et les Algonquins. Ces hostilités ne sont pas seulement motivées par des enjeux économiques, mais aussi par le désir de dominer la région et de sécuriser les territoires de chasse. Ce cycle de violence culmine finalement avec des attaques à grande échelle, comme le massacre de Lachine.
Les expéditions militaires françaises contre les villages iroquois, menées par le gouverneur Louis de Buade de Frontenac, entraînent souvent des raids et des représailles contre les colonies françaises. Plusieurs tentatives de négociations de paix entre les Français et la Confédération iroquoise échouent. Pendant ce temps, les Britanniques de New York soutiennent ouvertement les Iroquois en leur fournissant des armes et en encourageant les attaques contre les Français. En 1682, Frontenac est rappelé en France, incapable de neutraliser la menace iroquoise persistante. Il est remplacé par Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre, qui occupe le poste de gouverneur pendant deux ans, suivi de Jacques de Meulles, dont le mandat dure moins de cinq mois.
Le gouverneur Jacques-René de Brisay de Denonville remplace de Meulles en 1685, inaugurant une nouvelle stratégie plus agressive contre les Iroquois. Son objectif initial est de renforcer les revendications territoriales françaises en conquérant les postes de traite anglais de la baie d’Hudson. Une fois cet objectif atteint, Denonville dirige ses efforts vers les Iroquois. En 1687, il quitte Montréal avec une armée de plus de deux mille hommes, composée de soldats français, de miliciens et de guerriers autochtones alliés. Sa campagne cible le peuple tsonnontouan (Seneca), l’une des cinq nations de la Confédération iroquoise (les autres étant les Agniers/Mohawks, les Onneiouts, les Onondagas et les Cayugas). Bien que les Senecas résistent initialement aux forces de Denonville, ils sont finalement submergés par la supériorité numérique des troupes. Les forces de Denonville attaquent plusieurs villages sénécas, détruisant systématiquement les habitations et les réserves de nourriture pour affaiblir leur résistance.
À l’été 1687, au Fort Frontenac (aujourd’hui Kingston, en Ontario), Denonville invite les Iroquois à un grand festin et à des pourparlers de paix. Cependant, cette réunion n’est qu’un stratagème destiné à capturer un maximum de dirigeants iroquois. Plus de 220 captifs sont emmenés à Québec, dont 36 sont envoyés en France pour servir comme galériens à la couronne de Marseille. Cet acte sournois est perçu par les Iroquois comme une trahison profonde, éliminant toute chance de négociations de paix. En représailles, les Iroquois intensifient leurs raids contre les villages français et les colonies de missionnaires, amplifiant ainsi le cycle de violence. La trahison de Denonville est largement considérée comme un catalyseur du massacre de Lachine qui a suivi.
En 1688, la Nouvelle-France est ravagée par une grave épidémie de variole et de rougeole, qui tue plus de 10 % de la population de la colonie. Avec ses forces décimées et sans renforts suffisants pour contrer la menace iroquoise, le gouverneur Denonville propose des pourparlers de paix. En signe de bonne foi, il ramène quatre otages iroquois dans leurs villages et invite leurs dirigeants à une réunion. À la conclusion des discussions, les parties conviennent de poursuivre les négociations de paix, impliquant les cinq nations de la Confédération iroquoise. Denonville promet également d’organiser le retour des captifs iroquois envoyés en France. Bien qu’une trêve précaire soit établie, les tensions restent vives.
En mai 1689, avant que de nouveaux pourparlers de paix ne puissent avoir lieu au Canada entre les Français et les Iroquois, l’Angleterre et la France se déclarent la guerre, marquant le début de la première guerre intercoloniale en Amérique du Nord. Les habitants de la Nouvelle-Angleterre sont les premiers informés de la déclaration et avertissent rapidement leurs alliés iroquois. En Nouvelle-France, la plupart des colons, ignorant que la guerre avait été déclarée, continuent leur vie quotidienne dans des villages vulnérables et non fortifiés. Pendant ce temps, les Iroquois, désormais assurés du soutien total des Anglais dans leur conflit, commencent à planifier leur attaque la plus meurtrière contre la colonie française.
L’attaque sur Lachine
À l’aube du 5 août 1689, sous le couvert d’une violente tempête de grêle et de pluie, une force de 1 200 à 1 500 guerriers iroquois, principalement des Mohawks, avance sur le village de Lachine, qui compte alors environ 320 habitants. Les assaillants frappent sans avertissement, brisant portes et fenêtres, incendiant des maisons et tuant des colons. Les estimations varient, mais on estime qu’environ 24 colons sont tués dans le massacre, tandis que plus de 25 autres sont faits prisonniers. De plus, deux colons sont blessés et plus de 40 autres restent portés disparus, probablement tués ou capturés.
Le raid dure plusieurs heures et laisse le village en ruines. Au total, 56 des 77 maisons de Lachine sont entièrement incendiées, rendant extrêmement difficile la récupération ou l’identification des corps des victimes. Notamment, les forts voisins restent intacts pendant l’attaque.
Dans son Histoire du Canada, François Vachon de Belmont, supérieur des Sulpiciens de Montréal, décrit les conséquences du massacre de Lachine :
Plus tard, certains prisonniers parviennent à s’échapper, tandis que d’autres sont libérés lors d’échanges. Cependant, une quarantaine d’habitants de Lachine restent portés disparus.
La famille André est durement frappée par le massacre :
Michel, âgé d’une cinquantaine d’années, et Françoise-Jacqueline, âgée de 46 ans, ne sont jamais réapparus et sont présumés tués, bien que leurs corps n’aient jamais été retrouvés.
Gertrude, 23 ans, est également présumée assassinée, tout comme sa fille Marie, âgée de 3 ans. Sa fille de 2 ans, Louise Madeleine, est probablement capturée. Le mari de Gertrude, François Philippon dit Maisonneuve, était retourné en France en 1688. Louise Madeleine réapparaît dans les archives le 17 août 1744, à Lachine, lorsqu’elle épouse André Rapin dit Skaianis à l’âge de 58 ans, alors qu’il en a 63. André est le fils adoptif d’André Rapin et de Clémence Jarry. [Selon la littérature généalogique, André est considéré comme un Panis (un autochtone asservi en Nouvelle-France), mais cette affirmation repose probablement uniquement sur son surnom de « Skaianis ». Le surnom n’apparaît qu’à l’âge adulte, et aucun document n’indique explicitement qu’il était un Panis.]
Philippe, alors âgé de 17 ans, soit échappe au massacre, soit se trouvait ailleurs, soit revient de captivité, puisqu’il réapparaît dans les archives publiques en 1695, engagé comme voyageur dans la traite des fourrures. [À cette époque en Nouvelle-France, il n’existait aucun autre homme nommé Philippe André, âgé de 16 à 50 ans, qui pouvait être identifié comme voyageur.]
Pétronille, 15 ans, est également présumée assassinée aux côtés de son mari, Charles Beloncque dit Fugère, qu’elle avait épousé seulement quatre jours avant le massacre.
Marguerite, âgée d’environ 13 ans, reste captive jusqu’en 1698.
Marie, 11 ans, et Marie Angélique, 8 ans, ne donnent plus jamais signe de vie.
Pendant ce temps, Frontenac est en route pour la Nouvelle-France, après qu’un Denonville épuisé ait demandé à être rappelé. Le 15 novembre 1689, Frontenac écrit au ministre d’État, Jean-Baptiste Colbert de Seignelay :
En octobre 1694, le curé et plusieurs villageois procèdent à la réinhumation des victimes du massacre de Lachine dans le cimetière paroissial des Saints-Anges. Le registre paroissial relate cet événement sombre comme suit :
Les guerriers iroquois se retirent avec leurs prisonniers, mais l’attaque laisse un profond impact psychologique sur la Nouvelle-France. Cet épisode figure parmi les plus sanglants des conflits prolongés entre les Iroquois et les Français, qui ne prendront fin qu’avec la signature de la Grande Paix de Montréal en 1701.
Aujourd’hui, le nombre exact de prisonniers et de victimes du massacre de Lachine reste sujet à débat. Certains historiens et anthropologues soutiennent que les récits contemporains ont peut-être exagéré l’événement, présentant les Iroquois comme excessivement cruels pour renforcer l’image héroïque de nos ancêtres canadiens-français. À l’inverse, d’autres estiment que les interprétations modernes, influencées par le politiquement correct, ont conduit à une diminution du nombre de victimes rapportées.
Le destin de Marguerite André dite St-Michel
Marguerite a environ 13 ans lors du massacre de Lachine. Capturée pendant l’attaque, elle reste en captivité jusqu’en 1698, à l’âge de 22 ans.
Le 14 juillet 1699, Marguerite réapparaît dans les archives publiques en convoquant le notaire Antoine Adhémar dit Saint-Martin pour rédiger son testament. Selon le document, Marguerite réside à l’extérieur de Villemarie, « proche la porte de cette ville ditte de la Chine », chez « son bon amy » Jean Quenet, contrôleur des fermes de Sa Majesté en Nouvelle-France.
Bien qu’elle « gisait présentement au lict », Marguerite est décrite comme « saine d’esprit et d’entendement ». En tant que « vraye chrestienne et catholique », elle recommande son âme à Dieu. Elle exprime sa gratitude à Jean Quenet de « lavoir racheptée des mains des Iroquois ou elle estoit prisonniere, et de lavoir nourrie et entretenue » [phrase illisible] « comme ses filles propres ». Marguerite lui lègue 2 000 livres à prélever [sur ses biens ?] en reconnaissance de l’affection et la bonne amitié qu’il lui porta. [L’écriture du notaire est extrêmement difficile à déchiffrer.]
Bien que la maladie de Marguerite ne soit pas précisée, il est possible qu’elle ait été victime de l’épidémie de variole qui frappe la colonie en 1699. Heureusement, elle survit à cette épreuve.
Qui est Jean Quenet ?
Né en 1647 à Rouen, Jean Quenet arrive en Nouvelle-France vers 1674 comme maître chapelier et marchand de chapeaux. Il s’établit à Montréal, où il acquiert un terrain près de la porte dite « de Lachine ». Dès 1677, il devient l’un des principaux fournisseurs de chapeaux de la ville. En tant que chapelier, Jean est très impliqué dans l’achat de fourrures auprès des chasseurs et trappeurs autochtones, essentielles à la fabrication des chapeaux du XVIIe siècle. Parfois, il contourne la loi pour favoriser son entreprise : en 1680, lui et plusieurs autres hommes sont condamnés à une amende de 2 000 livres pour avoir enfreint l’ordre royal interdisant aux coureurs de bois de commercer avec les « sauvages ».
Malgré ces revers, Jean devient une figure influente à Montréal et accède finalement au poste de receveur des droits seigneuriaux de l’île. Il profite de ses relations avec le Séminaire pour acquérir de précieuses propriétés foncières à Pointe-Claire, Sainte-Anne et Lachine. Ses motivations demeurent en partie mystérieuses. Bien qu’il ait pu « racheter » des captifs, il est probable que ses actions aient été principalement transactionnelles, motivées par le besoin pratique de main-d’œuvre. Jean engage fréquemment des serviteurs et des apprentis pour divers travaux, ce qui pourrait expliquer son intérêt pour l’obtention de captifs.
Jean est également le beau-frère de François Vinet dit Larente. [Bien qu’il signe « Quenet », il est parfois appelé « Guenet ».]
Le 1er mars 1701, Marguerite sollicite à nouveau les services du notaire Adhémar, cette fois pour une occasion bien plus heureuse. Ce jour-là, Adhémar rédige son contrat de mariage avec François Vinet dit Larente. Marguerite réside toujours chez Jean Quenet, qui figure également parmi ses témoins. Le contrat révèle que « depuis quatre ans, il [Quenet] l’a retirée des Irokois lors nos ennemis, ou Elle estoit prisonnière de lannee mil six cent quatre vingt neuf lors de lincendie de laChine ». Le contrat de mariage suit les normes de la Coutume de Paris, avec un douaire préfixe de 400 livres et un préciput fixé à 200 livres. Ni la mariée ni le marié ne peuvent signer leur nom.
Le couple se marie le même jour à la paroisse Notre-Dame de Montréal. François et Marguerite sont tous deux répertoriés comme résidents de Montréal, bien que leurs origines soient à Lachine. Après leur mariage, ils s’installent à Lachine.
François et Marguerite auront deux enfants :
1. Marguerite (1701-1745)
2. François (1703-1760)
Tragiquement, François Vinet dit Larente décède à l’âge de 22 ans le 18 janvier 1703, « dans son lict de maladie ». Il est inhumé le lendemain au cimetière paroissial de Lachine. François a peut-être été victime de l’épidémie de variole qui ravage la colonie, faisant entre 1 000 et 1 200 morts en 1702 et 1703, soit environ 8 % de la population canadienne de l’époque.
Le 25 juin 1704, le notaire Adhémar dresse un acte de mariage entre Marguerite et Jean Baptiste Dubois dit Brisebois, fils de René Dubois dit Brisebois et d’Anne Julienne Dumont. Ce contrat suit également les normes de la Coutume de Paris, avec un douaire préfixe établi à 600 livres et un préciput fixé à 400 livres. Jean Quenet sert de nouveau de témoin à Marguerite.
Marguerite et Jean Baptiste se marient le même jour à la paroisse des Saints-Anges de Lachine. Le marié a 28 ans, et la mariée a environ le même âge. Aucun des deux ne peut signer son nom sur l’acte de mariage.
Marguerite et Jean Baptiste s’installent d’abord à Lachine. Ils auront sept enfants :
Suzanne (1705-1775)
Louis (1707-1789)
Jacques (1709-1775)
Ambroise (1711-1798)
Marie Dorothée (1714-1794)
Toussaint (1717-1791)
Marie Anne Clémence (1720-1758)
Vers 1712, la famille déménage à environ dix kilomètres à l’ouest, jusqu’à Pointe-Claire.
Le 13 janvier 1740, Marguerite et Jean Baptiste transfèrent tous leurs biens à leurs enfants, y compris ceux issus du premier mariage de Marguerite. L’acte notarié stipule : « Désirant se débarrasser des affaire du monde Et de ne plus panser qua Leur Salut, ont Volontairement Donné Et abandonné Et delaissé du tout des maintenant et a toujours. » Le don comprend une terre à Pointe-Claire, mesurant six arpents de front le long du fleuve Saint-Laurent sur 20 arpents de profondeur, avec tous les bâtiments, dont une maison, une grange et une écurie. Cependant, le couple conserve le droit d’habiter la maison et d’utiliser le jardin à sa guise. La rente des terres est fixée à un demi-minot de blé plus dix sols en espèces pour chaque 20 arpents de superficie.
En échange, les enfants acceptent de fournir à leurs parents une vache laitière et une pension viagère comprenant 40 minots de farine, 300 livres de lard, 30 livres en argent, trois chemises chacun, 30 cordes de bois de chauffage, neuf minots de pois pour engraisser un cochon et une paire de souliers de bœuf. Chaque enfant devra aussi leur fournir annuellement deux livres de graisse, 12 bottes de paille et six bottes de foin. De plus, à tous les trois ans, les enfants promettent de fournir à chaque parent de nouveaux vêtements, bas et chaussures. Les enfants issus du premier mariage de Marguerite ne devaient contribuer qu’à la moitié des obligations en matière de pension viagère. À la mort de leurs parents, les enfants s’engagent à ce que 20 messes soient célébrées pour le repos de leur âme.
Jean Baptiste Dubois dit Brisebois est décédé à l’âge de 71 ans le 16 septembre 1747. Il est inhumé le lendemain au cimetière paroissial de Saint-Joachim à Pointe-Claire. Sa sépulture indique qu’il était capitaine de milice.
Marguerite André dite St-Michel est décédée vers l’âge de 75 ans et est inhumée le 15 mai 1751 au cimetière paroissial de Saint-Joachim à Pointe-Claire. La date de son décès n’est pas précisée dans l’acte de sépulture.
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